Le Prince de Molenbeek
Il était une fois, à Molenbeek-Saint-Jean, une vieille demeure baptisée « L’étendoir ». Autrefois à l’abandon, quelques bienheureux ont investi les lieux grâce à un contrat d’occupation légale négocié avec la commune. Cette joyeuse bâtisse, qui a des airs d’auberge espagnole, est située non loin du métro Étangs Noirs.
Thibaut y habite depuis le printemps 2016. Dans le cadre de son mémoire en sociologie politique, il s’est penché sur le modèle du « Community Land Trust » – un schéma selon lequel une organisation acquiert un terrain pour le gérer comme un bien commun et dans l’intérêt de la communauté. C’est ainsi que le jeune homme a atterri à L’étendoir. Pour éviter de faire des allers-retours quotidiens entre Bruxelles et Lille, où il poursuivait ses études, il s’est installé dans ce squat légal. Mais peut-être plus pour très longtemps, car la maison sera bientôt rasée pour construire de nouveaux logements. Thibaut, qui est bien conscient de la précarité de sa situation, devra alors trouver un nouvel endroit où vivre.
À 26 ans, ce Marseillais d’origine, socialement engagé, revendique un mode de vie alternatif. Deux nouveaux colocataires l’ont récemment rejoint dans cette aventure. Giovanni et Luis partagent avec Thibaut des instants de vie en communauté qu’ils affectionnent particulièrement. Tous les trois vivent leurs derniers moments à L’étendoir. Ensemble, ils créent des souvenirs qui seront bientôt fauchés par les rugissements de tracteurs.
- Rue des Étangs Noirs, les enfants du quartier ont trouvé un nouveau jeu. Ils s’amusent à faire tomber les briques d’un mur défraîchi.
- À travers le mur, ils aperçoivent une maison intrigante. À Bruxelles, environ 20 000 logements sont inhabités. Autoriser l’occupation de cette maison est un moyen de lutter contre les logements vacants.
- La maison est bordée par les rues Étangs Noirs et Vandenpeereboom. Le nom « étendoir » fait naturellement écho à la rue des Étangs Noirs.
- D’abord condamnée, la bâtisse a finalement été démurée pour permettre une occupation légale en attendant le début des travaux. Plusieurs projets sont actuellement menés par le Community Land Trust de Bruxelles, qui veille à proposer des logements à prix raisonnables pour les personnes à faibles revenus. C’est le cas du projet Arc-en-ciel.
- Thibaut occupe les lieux depuis près d’un an. Vivre à L’étendoir n’est pas totalement gratuit. Chaque mois, il débourse 186 euros pour couvrir les frais usuels.
- Habiter un squat est un choix qui nécessite de faire quelques sacrifices. Dans la cuisine, le confort est spartiate.
- Derrière la fenêtre, un mur n’a pas été détruit. L’atmosphère est pour le moins surréaliste.
- À l’intérieur comme à l’extérieur, certains détails témoignent de la vétusté des lieux. Au sol, certaines lattes de parquet n’ont pas été remplacées. Sur les murs, on peut lire des inscriptions répertoriant les malfaçons de l’habitation. Un autre problème, imperceptible à l’oeil nu, est celui de l’humidité.
- Depuis peu, Thibaut peut compter sur la compagnie de deux nouveaux habitants. Parmi eux, Giovanni, un Mexicain de 28 ans, est arrivé en Belgique il y a peu. Avant L’étendoir, il a d’abord passé quelques jours à l’Esquive, un squat situé à Forest.
- Luis, 28 ans, est actuellement en Master en Sciences maritimes. Avant L’étendoir, ce Salvadorien d’origine vivait également à l’Esquive, où il était établi depuis plusieurs mois.
- Des soirées sont régulièrement organisées pour animer la demeure. Le salon est toujours aménagé sur le thème de L’étendoir.
- Les artistes qui se produisent sont payés selon la générosité des participants. Le prix conseillé est généralement de 3,99 euros. En soirée , il est possible d’acheter des boissons à petit prix. L’argent récolté est réinvesti dans l’organisation d’autres évènements.
- Les soirs de fêtes, il n’est pas rare que certains fêtards dorment sur place. La maison est grande – environ 140 m² – et peut accueillir du monde.
- En lendemain de soirée, la maison est tout aussi animée. La musique en moins.
- Les repas sont toujours un moment de convivialité et de partage.
- Finalement, Thibaut est rarement seul. Ses amis, qui lui rendent souvent visite, l’ont surnommé « le Prince de Molenbeek » pour l’accueil chaleureux qu’il réserve à ses hôtes.
- Le 15 mars 2017, les futurs propriétaires se sont rassemblés pour fêter la pose symbolique de la première pierre, même si la date de début des travaux reste encore incertaine. Ensemble, ils ont créé l’association « Arc-en-ciel », qu’ils brandissent fièrement comme un symbole de mixité. En tout, ce sont 32 familles qui attendent avec impatience leurs nouveaux logements.
- Karim Majoros, Échevin au logement, est venu apporter son soutien au projet. Par sa présence, il marque l’engagement des pouvoirs publics. Car leur implication est bien réelle : tous les ans, la Région de Bruxelles-Capitale octroie une enveloppe au Community Land Trust de Bruxelles pour l’acquisition de nouveaux terrains. Des représentants de la Région siègent au conseil d’administration avec un tiers de pouvoir décisionnel, tandis que les deux tiers restants incluent les représentants des habitants et les associations partenaires.
- L’ambiance est bon-enfant. Une petite chanson a même été entonnée pour l’occasion.
- Déjà, les enfants s’approprient les lieux. À force de rencontres et de discussions, les futurs voisins se côtoient depuis plusieurs années. Le Community Land Trust de Bruxelles implique les futurs habitants dans la préparation dès le début du projet.
- Les enfants s’amusent à dessiner sur les murs qui seront bientôt détruits.
- Thibaut, qui prône une philosophie de vie alternative, est avant tout guidé par son engagement social. Dès qu’il le peut, il se rend aux réunions organisées par le Community Land Trust de Bruxelles, afin de garder contact avec les membres de l’organisation.
- Le jeune homme pense à son avenir. Il travaille actuellement dans un bar de jazz et cherche un emploi dans le social. Lorsqu’il devra quitter L’étendoir, il emménagera sûrement à la Poissonnerie, un autre squat situé à Schaerbeek. Là-bas, il vivra dans une maison d’artistes spécialement dédiée aux musiciens.
Eugénie Herbreteau