L’acrobatie jusqu’au Brésil
Un sport, de l’ambition, de l’amitié et le Pôle Jeunesse de Molenbeek. Après cinq ans de préparation, il est temps de faire les bagages. Abdessamad, Ibrahim, Achraf et Mohamed sont enfin prêts. Accompagnés d’une dizaine de leurs camarades du Pôle, ces quatre Molenbeekois sont bien déterminés à transmettre une partie de leurs valeurs. Et c’est la capoeira qui en est leur moyen d’expression. Une pratique acrobatique empruntant à la fois des techniques de combat et de danse des peuples africains. Plus qu’un sport, c’est une philosophie, un art et surtout, une perspective de fuite. Aujourd’hui, ce groupe d’amis a trouvé dans ce sport un moyen de s’évader des “carcans” de la société tout en gardant leur propre identité molenbeekoise. Ce voyage a pour seul mot d’ordre : le partage.
- Place Saint-Rémi à Molenbeek. Il est 17h. Comme tous les lundis, Abdessamad, Ibrahim, Achraf et Mohamed s’entrainent. La capoeira fait partie intégrante de leur quotidien et ce, depuis cinq ans pour certains d’entre eux.
- Les pieds représentent un élément fort durant le combat. Les capoeiristes prennent appui sur leurs mains pour effectuer des coups de pied ou des acrobaties. Mohamed et Abdessamad commencent l’entrainement par des tours de salle et des exercices d’échauffement favorisant l’appui sur les jambes et les bras.
- Après quelques échauffements, Abdessamad, Ibrahim, Achraf et Mohamed mettent en pratique une série de mouvements répétitifs – l’objectif étant de ne rien lâcher afin de préparer sa condition physique pour les affrontements.
- Le principe de la capoeira est simple : les capoeiristes forment une ronde, appelée la roda, au milieu de laquelle deux d’entre eux s’affrontent. A tour de rôle – deux par deux – ils vont se placer au centre du tapis. Qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur du cercle, tous jouent un rôle.
- Les capoeiristes à l’extérieur, formant le cercle, peuvent remplacer l’un des deux joueurs quand ils le souhaitent. Ils sont soumis à une seule règle : celle du « respect ». Lorsque l’un d’entre eux s’impose au milieu du cercle, il doit saluer le joueur auquel il veut se mesurer. Achraf attend le bon moment pour prendre la place d’Ibrahim afin de défier Abdessamad.
- L’entrainement est intensif. Avec un jeu pratiqué à différents niveaux du sol et à différentes vitesses, les capoeiristes s’épuisent physiquement. A la fin d’un jeu, aucun gagnant ou perdant n’est désigné, seul un bon est reconnu face à un moins bon.
- La capoeira va au-delà d’un simple combat, c’est un spectacle. Le jeu est un dialogue où chacun est en mouvement constant et où l’objectif est d’accomplir une prestation à l’image d’un comédien. Ici, Ibrahim et Mohamed s’affrontent au centre.
- Le groupe de capoeira est né, il y a cinq ans, à la suite d’un travail de rue. Braz, l’entraîneur, en est l’initiateur. Cette pratique artistique est avant tout vue comme un outil pédagogique auprès des jeunes. En cinq ans d’existence, c’est plus de 300 jeunes qui ont touché à ce sport, manifestement indissociable de l’art.
- Le Pôle Jeunesse de Molenbeek – situé au Boulevard Léopold II, 170 – représente le « QG » pour une grande partie des jeunes Molenbeekois. Il est également le moteur du projet.
- Crée en 2014 et appartenant à l’une des branches de l’asbl Lutte contre l’Exclusion Sociale (L.E.S), le Pôle accueille des jeunes entre 15 et 30 ans issus de la commune comme de l’extérieur. La volonté première est de les aider à s’affirmer, s’épanouir et partager certaines valeurs au sein de divers projets. L’une des missions maitresses du Pôle repose sur la construction de leur identité sociale et citoyenne.
- Achraf a 18 ans et fait partie du Pôle depuis sa création. Il fait également partie du projet pour le Brésil qui, au départ, était intitulé « Molenbloco ». Mis en place en février 2012, le projet était rattaché aux ateliers de capoeira et de percussions mis en place par l’équipe sociale de rue. Une activité dans laquelle les jeunes se retrouvaient chaque semaine afin de développer de manière indépendante, des compétences qui leurs sont propres.
- Suite à diverses complications, le projet a été mis en standby pendant deux ans. Mais c’était sans compter la motivation des jeunes au sein du Pôle. Il y a quelques mois, certains d’entre eux ont remis l’idée du voyage au Brésil sur la table. Dès lors, le projet s’est émancipé et s’est développé grâce aux actions menées par les jeunes, mais également par les éducateurs et les professionnels du Pôle Jeunesse. Aujourd’hui, c’est une quinzaine de jeunes qui partent arpenter la culture du plus grand Etat d’Amérique latine. Mais avant cela, l’heure est à l’organisation des derniers préparatifs.
- Ibrahim a 17 ans et fait partie des plus jeunes sur ce projet. D’où la nécessité d’insister – lors de la réunion – sur l’encadrement une fois sur place. Le projet – aujourd’hui intitulé « De Molem au Brésil » – demande une certaine rigueur de coordination. Les initiatives du Pôle Jeunesse mettent en avant l’échange entre différentes cultures et savoirs, il était donc inimaginable, par exemple, de partir sans organiser quelques cours de portugais.
- Ali est l’un des éducateurs en charge du projet. Il est responsable du groupe de jeunes ainsi que du bon déroulement du séjour. Il a rejoint Braz et Aly (directeur du Pôle) aux commandes – tout deux porteurs du projet. Mais un tel voyage demande un financement considérable. Pour trouver les subsides nécessaires, ils ont fait appel à de nombreuses institutions : le BIJ (Bureau International de la Jeunesse), l’asbl la L.E.S, la Région, le cabinet de la Ministre Présidente du Gouvernement francophone bruxellois. Les jeunes ont également participé et organisé de nombreux événements.
- Le 10 mars 2017, au Chateau de Karreveld à Molenbeek, les jeunes – toujours sous l’égide du Pôle Jeunesse – s’occupent de l’organisation du Festival Judéo-arabe.
- De l’accueil à la préparation du barbecue en passant par la gestion du bar, l’objectif est de récolter un dernier petit coup de pouce pour le Brésil.
- L’idée d’impliquer les jeunes dans l’organisation d’événements a pour but de leur apprendre à s’investir pour une cause qui leur est propre. Il est important pour les éducateurs et les professionnels, qui les encadrent, de les faire participer symboliquement au projet. Car au final, l’intégralité du voyage n’aura coûté que 50 euros par personne.
- Certains s’impliquent de manière forte à chaque événement afin de concrétiser le projet. Aussi bien qu’ils utilisent la capoeira comme outil pédagogique en l’enseignant à des enfants.
- Tous les samedis matin, Achraf et Mohamed initient donc des enfants à la pratique de la capoeira à la Maison des Cultures à Molenbeek.
- Comme tout professionnel, il est important de rassembler ses troupes pour donner les directives avant le top départ.
- Après quelques exercices de mise en condition, les enfants enchaînent quelques mouvements de capoeira.
- Certains capoeiristes du groupe ont pour objectif d’obtenir un brevet auprès de la Fédération de Capoeira afin d’enseigner cette pratique. Mohamed et Achraf en font partie. Enseigner la capoeira – à des enfants ou autres – signifie que l’on a imprégné l’outil socio-culturel qu’il représente.
- Abdessamad a 19 ans et est engagé dans le projet depuis le début. GSM à la main, il essaye de contacter le Centre Communautaire Maritime (C.C.M) pour avoir un libre accès à la salle en dehors des jours d’entrainement. Il fait partie du groupe initial de capoeira « Molenbloco ». Pour lui, comme pour Mohamed, Ibrahim et Achraf, la concrétisation de ce voyage représente une nouvelle étape dans leurs accomplissements personnels.
- Achraf et Abdessamad rejoignent Ibrahim avant d’aller au Pôle.
- « Quand on n’a rien à faire, on mange ». C’est donc naturellement qu’ils s’arrêtent dans un supermarché pour s’acheter deux-trois gourmandises, avant de se rendre au Pôle.
- Ça y est, on est le 29 mars. Il est 15h et une partie du groupe s’est donné rendez-vous devant le Pôle Jeunesse.
- Un ami les conduit à l’aéroport de Bruxelles-National à bord de sa camionnette. Mohamed n’a finalement pas pu faire partie du voyage. Abdessamad est quant à lui, déjà à l’aéroport.
- Terminal. C’est l’heure d’embarquer. Le groupe rejoint le reste de l’équipe.
- Tout le monde est enfin regroupé. Pour des raisons de logistique, les jeunes ont du se séparer en deux groupes. Le premier, avec toutes les filles, fait escale à Rome. Le deuxième, quant à lui fait escale à Francfort. Ils arriveront avec 40 minutes de décalage au Brésil le lendemain.
- L’histoire peut dès à présent commencer. Jusqu’au 15 avril 2017, Abdessamad, Ibrahim et Achraf vont pouvoir utiliser la capoeira – cet art qui représente aujourd’hui l’un des premiers produits d’exportation culturelle du Brésil – comme moyen d’expression corporelle.
Joanna Marchi