Vivre son homosexualité à Molenbeek
Molenbeek est une commune où la diversité est visible. La pluralité des identités des molenbeekois est une réalité. Dans ce reportage, il est question de personnes LGBT, ou « lesbigays » habitant la commune. Des témoins ont accepté de livrer leur ressenti. Un regard au plus proche, sans filtre, d’une « communauté » qui fait part de son quotidien.
Les discriminations et les phénomènes de rejet des lesbigays sont légions en Europe et existent aussi en Belgique. Environ 10% des dossiers traités par UNIA, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, ont trait au domaine « vie en société » (querelles de voisinage, insultes sur la voie publique, etc.). Mais cette proportion est bien supérieure en ce qui concerne l’orientation sexuelle : 1 dossier sur 5 en moyenne porte sur des faits similaires. Cela peut paraître évident, mais de nombreux couples lesbigays vivent à Molenbeek. Certains d’entre eux ont accepté de livrer leur expérience de vie. Des avis contrastés, montrant certaines divergences.
« Ça me choque ! »
Un mercredi, à deux pas de la place communale, il y a affluence. On demande directement à Khalil, posé devant l’entrée de la station de métro, son avis sur la vie de couple possible entre deux hommes. « Non, pour moi ça ne passe pas. Ce n’est pas que je ne le tolère pas mais ça me choque ! C’est pas un truc que j’imagine possible, vous voyez… ». On sent un malaise. Pour quel motif ? Lui demande-t-on. « C’est haram, vous comprenez, maintenant, c’est bon… ». La discussion tourne court. C’est ce qu’explique également Hicham, homosexuel d’origine maghrébine ayant déjà subi des discriminations en raison de son orientation. « Chaque fois, on voit une intolérance justifiée au nom de traditions très ancrées, c’est malheureux de voir ça en Belgique, à notre époque », déplore-t-il. Aujourd’hui, il ne vit plus à Molenbeek, « la pression était trop forte et je voulais une liberté totale, j’y ai droit », explique Hicham. « J’ai déjà parlé avec des mecs comme celui que vous avez rencontré, leur discours est similaire, formaté ». Un éventuel dialogue entre ces deux protagonistes semble à priori peu probable. Une enquête récente menée auprès de jeunes Flamands (relativement bien scolarisés), âgés de 12 à 21 ans, montre que l’homonégativité n’est pas du tout aussi rare que l’on pourrait le croire. Parmi les quelques 4 000 jeunes interrogés, 18% estiment que l’égalité des droits pour les lesbigays n’est pas une bonne idée et 20% en doutent.
Poursuivant ces rencontres, des couples habitant la commune ont acceptés de témoigner. Laurent est français, il a 39 ans. Ex-agent de sécurité, il est aujourd’hui responsable d’un grand parking bruxellois. Il y a 12 ans, Laurent a rencontré son compagnon, Mehdi, d’origine marocaine, dans un bar gay de la capitale. Cela fait 11 ans que le couple vit à Molenbeek. Comment se passe leur quotidien ?
Des témoignages de couples
« Soyons honnêtes : il faut surtout rester discret. Ce n’est pas qu’il y ait une homophobie latente, loin de là, mais moins ça se voit et mieux c’est ».
Nous lui avons demandé son avis sur les liens éventuels entre religion et intolérance. Son constat est catégorique. « J’ai un ami qui est juif, gay, et qui ne le dit pas de peur d’être renié. C’est pareil dans le milieu catholique : ma famille vient d’une branche de l’extrême-droite française chrétienne intégriste. Ma vie était un calvaire, c’est pour ça que je suis venu vivre ici, en Belgique. Toutes les religions ont un fond dangereux, si elles sont appliquées modérément, ça passe… ».
En outre, Laurent et Mehdi partagent le même avis sur la différence de traitement homme – femme. « Un couple de lesbiennes habitent dans l’immeuble et là, ça passe mieux : deux femmes qui vivent ensemble, c’est mieux accepté que deux hommes qui vivent ensemble ».
Ce couple, nous l’avons également rencontré. Patricia et Delphine vivent côte à côte depuis 7 ans. Celles-ci n’hésitent pas à se donner la main en rue à Molenbeek, même si elles reconnaissent être une minorité à le faire. « On ne change pas notre comportement. Sauf dans les transports en commun, si le regard est un petit peu trop insistant. Ma compagne est cependant plus méfiante, elle constate que les regards ont changés, des signes extérieurs de radicalisme sont visibles », explique Patricia.
Delphine souligne toutefois « qu’un jour, face au regard désapprobateur d’une femme, j’ai surenchéri plutôt que de me mettre en réserve. Non pas pour provoquer, mais pour montrer que nous sommes vraiment à l’aise, un couple comme tous les autres ». Selon le couple, « il y a un contrôle social extérieur » qui freine leur expressivité.
Mais le rejet de l’autre n’est pas pour autant unidirectionnel. Emilie van den Broeck, travaillant à UNIA, le centre interfédéral pour l’égalité des chances, souligne que les libertés des lesbigays molenbeekois d’origine étrangère sont restreintes, surtout depuis le 22 mars 2016. « Une partie n’ose plus sortir de Molenbeek. En termes de socialisation pour des jeunes gays cela doit être extrêmement dur ». La méfiance et la stigmatisation sont pointés du doigt. « On voit bien qu’il y a une série de stéréotypes vis-à-vis des personnes d’origine maghrébines, qui ont un impact sur eux. Il y a clairement plus de contrôles à Molenbeek qu’avant le 22 mars 2016 ».
« A Molenbeek, « on sent un réel mal-être… »
Selon la bourgmestre de Molenbeek, Françoise Schepmans, « la discrimination que ce groupe subit (ndlr : les jeunes musulmans d’origine maghrébine) ne peut expliquer leur intolérance envers les LGBT. C’est plutôt un manque de connaissance, d’ouverture. La religion a un poids important dans les quartiers comme celui-ci, et l’islam qui est véhiculé ici est souvent un islam conservateur ».
Françoise Schepmans relate les expériences qu’elle a constaté sur le terrain. « Moi ce qui m’interpelle, c’est toujours le qu’en-dira-t-on. Dans la réaction des familles, d’une façon générale c’est ce qui prime, plutôt que le respect d’un précepte religieux ou d’éducation. C’est le regard des autres qui pose problème » à la personne.
Concernant la commune, Laurent affiche son pessimisme, décrivant une morosité ambiante et perceptible. « Moi ce que j’ai constaté à Molenbeek, c’est que des jeunes qui sont issus de familles maghrébines ont en eux une frustration liée à leur identité, en perte de repère. Et cette frustration amène à la violence. A Molenbeek on sent un réel mal-être, les gens ne se sentent pas bien », déplore-t-il.
Différents facteurs en cause
Pour tenter de mieux cerner la problématique, quelques pistes scientifiques ont déjà été publiées à ce sujet. Une étude réalisée par la VUB, datant de 2015, s’est intéressée aux relations entre le niveau sociétal, l’âge, la confession et les attitudes négatives envers les LGBT. Si quatre facteurs sont réunis, il y a plus de chance de développer une intolérance envers les LGBT. A savoir : un faible niveau socioéconomique, le fait d’être jeune, de confession musulmane et d’origine étrangère. L’étude expliquant également que les discriminations subies par ces jeunes conduiraient à une frustration identitaire engendrant cette intolérance de genre.
Par ailleurs, une autre étude de la Fondation Roi Baudouin avait déjà établi ce constat : auprès de la communauté belgo-marocaine, près de six répondants sur dix estiment que l’homosexualité n’est jamais justifiée.
La responsable d’UNIA qui a habité quelques années à Molenbeek, a souhaité partager son avis. « Ce qu’on observe, c’est qu’il y a une influence de la religion sur les comportements homophobes, mais c’est difficile de dire si c’est la religion en elle-même ou le machisme. Des communautés religieuses qui sont ouvertes aux LGBT, il y en a plein en Europe », rappelle-t-elle.
Celle-ci semble partager les constatations des études : « A Molenbeek, il y a beaucoup de jeunes, beaucoup de gens sans emploi et dont le niveau socioéconomique n’est pas très élevé, donc ça a aussi probablement un impact ».
Un sujet tabou
Du côté politique, la bourgmestre évoque un sujet dont on ne parle jamais. « Je suis au contact de la population, les questions relatives à l’homosexualité ne sont pas abordées à Molenbeek. Et par rapport aux conclusions de l’étude, je pense que c’est surtout un manque d’éducation », explique-t-elle.
Vivre son homosexualité à Molenbeek, est-ce nécessairement plus difficile que dans une autre commune ? « Dans le centre de Molenbeek, oui, très certainement. Il y a une approche assez conservatrice de la société d’une part de la population », répond Mme Schepmans.
Même son de cloche auprès du fonctionnaire de prévention, Olivier Vanderhaegen. « C’est un sujet tabou. C’est quelque chose qui est caché, à mon avis, à Molenbeek. Ces personnes vivent très discrètement. ll y a très peu de gens qui portent plainte », souligne-t-il. La bourgmestre relate également quelques cas de harcèlement et d’agressions au sein de la commune envers les lesbigays.
Mais d’où proviennent certains phénomènes de rejet ? La question de la féminisation du corps masculin dans l’espace public est probablement une donnée à prendre en compte. Selon Mme. Van den Broeck, « les études actuelles indiquent que cela a un impact. C’est la question de la visibilité. Quand des gens se font agresser, il y a un caractère visible de l’homosexualité ». En parallèle, une enquête de l’agence européenne pour les droits fondamentaux réalisée en 2012 révèle que les filles sont moins sujettes aux violences homophobes.
Un couple fraîchement installé à Molenbeek
Dans un précédent article, nous avions évoqué le témoignage de Cyprien, en couple avec Noah, fraîchement installés dans la commune : « On est assez touché par la problématique du vivre ensemble concernant les différentes communautés. Mon copain est juif et il est très ouvert à la culture musulmane. On a envie de s’ouvrir au maximum, on sait que ça pourrait choquer mais pour nous c’est un plus », expliquent-ils.
Et le couple souhaite investir la commune au maximum : « On s’installe ici comme un couple hétéro. C’est un défi, ça nous attire à fond : il y a plein de trucs culturels qui se créent, justement parce que Molenbeek est sur le devant de la scène, et du coup on aime être là où les choses se passent. L’appartement choisi était déjà bien, mais vu le lieu, c’était encore plus intéressant. On est dans un immeuble où on veut créer une sorte d’habitat groupé. On sort de la maison à deux, les gens pourraient comprendre qu’on est en couple. »
En 2016, la commune de Molenbeek avait hissé le drapeau multicolore aux couleurs de la Belgian Pride. L’expérience sera-t-elle réitérée cette année ? La commune ne s’est pas encore prononcé. L’édition de cette année aura lieu le 20 mai prochain à Bruxelles et aura pour thème l’asile et la migration.
La mixité reste un des éléments clé sur lequel il faut miser, selon la bourgmestre. Un travail de sensibilisation reste à accomplir, en particulier envers le jeune public. Le travail des asbl et des pouvoirs publics, mais aussi du monde de l’enseignement, sont peut-être les clés d’une acceptation plus large de la part de la société.